Les régionales dans les Hauts-de-France : une alliance payante pour 2022 ?

Nous sommes le 6 décembre 2015 dans les Hauts-de-France. Les résultats du premier tour viennent de tomber. C’est mauvais pour la gauche. Très mauvais. Contraints de se retirer de la course pour éviter que la région ne soit prise par le Front National, il n’y aura pas de conseiller de gauche dans l’hémicycle régional pour les 6 prochaines années. 

À gauche, ce n’est pas la première fois que les divisions ont causé de lourdes défaites électorales. Le cas le plus célèbre reste la présidentielle de 2002 ou encore, plus récemment, celle de 2017. Ces déconvenues s'enchaînant depuis 2012, une hypothèse semble de plus en plus se concrétiser : un parti de gauche ne peut pas (plus ?) gagner seul.  

Nous sommes le 11 mars 2021, toujours dans les Hauts-de-France. La gauche souhaite que le résultat de l’élection régionale à venir soit différent de celui de 2015. Le Parti Socialiste, le Parti Communiste, Europe Ecologie Les Verts, la France Insoumise et les Radicaux de Gauche : ces cinq partis décident de s’allier. La tête de liste sera Karima Delli, présidente de la commission du transport et du tourisme au Parlement européen et cheffe de file d'EELV dans la région. 

C’est un véritable coup de force qui met en difficulté (vraiment ?) le président sortant, Xavier Bertrand, mais également le candidat du Rassemblement national, Sébastien Chenu. 

À moins d’un an de la présidentielle, on se demande quelles seraient les répercussions d’une victoire (ou d’une défaite) d’une telle alliance pour la présidentielle à venir.

I/ C’est possible en 2022 ? 

Avant toute chose, il est important de se questionner sur la possible réplicabilité d’une telle alliance au niveau national. 

Spoiler alert : rien ne laisse penser que cela pourrait être le cas. 

Pour La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon est déjà candidat ; et chez les Verts, Yannick Jadot semble également se positionner comme prétendant naturel, même si rien n’est officiel pour le moment. Au Parti Socialiste, c’est le flou complet. Anne Hidalgo a déclaré prendre sa décision dans quelques mois.

Cette question du candidat est cependant centrale. Dans la perspective d’une possible alliance, mettre sous le tapis les relations… tendues entre certains protagonistes serait une erreur. Bon courage à celui qui devra proposer à Jean-Luc Mélenchon de s’allier, ou pire, de se ranger derrière un candidat du Parti Socialiste ! Cette question ne se pose pas uniquement pour La France Insoumise. Quel que soit le parti, on ne dit pas non à une candidature présidentielle si facilement… 

D’autant que ce n’est pas le seul obstacle sur la route d’une alliance des gauches au niveau national. Cette problématique du choix du candidat mise de côté, il faut maintenant se mettre d’accord sur un programme commun. Et c’est là que ça se corse (encore plus).

Elle est là la véritable différence entre l’échelon régional et national. 

On serait tenté de se dire qu’il suffit de répliquer le modèle des Hauts-de-France afin de créer une alliance nationale ? C’est un peu (euphémisme) plus compliqué ! Pour expliquer cela, il suffit de regarder le rôle d’un président de région. Voici quelques-unes de ses prérogatives : les transports, les lycées, la formation professionnelle ou encore l’aménagement du territoire et de l'environnement. Vous l’avez compris, ce ne sont pas là que se trouvent les fractures les plus profondes entre les partis de gauche. 

Pour cela il faut se tourner vers l’élection présidentielle au cours de laquelle les candidats devront s’exprimer sur des sujets comme l’Europe, la laïcité, la politique internationale ou encore la sécurité. Il pourrait donc être plus compliqué pour certains de faire des concessions sur ces sujets hautement idéologiques. 

Pas facile de trouver un compromis sur le rôle de la police hein ! 

Cependant auront-ils vraiment le choix ? La gauche peut-elle risquer, pour la seconde fois consécutive, de regarder le second tour de la présidentielle, confortablement assise dans son canapé à la maison ? Car le souvenir de 2017 est bien là et l’ensemble des partis déclarent vouloir éviter un second tour qui opposerait de nouveau Emmanuel Macron et Marine Le Pen. 

En avril dernier, les dirigeants de l’ensemble des partis de gauche (Parti Socialiste, Europe Écologie-Les Verts, Génération.s, La France insoumise, le Parti communiste, Place publique ou encore le Parti radical de gauche) se sont rassemblés afin de discuter d’un potentiel rapprochement pour la présidentielle de 2022. Ces échanges inter-partis à gauche sont appelés à se multiplier dans les prochains mois. Dans cette optique, EELV a décidé d’ouvrir la réflexion sur son programme présidentiel à la Gauche. Et bien que du côté de Jean-Luc Mélenchon, ces réunions ne sont rien d’autre qu’un « numéro de claquettes » et annonçant que « naturellement, on ne sera pas unis à la fin », c’est une première étape vers un éventuel projet qu’il faudra construire sur le temps long en prenant en compte les sensibilités et ambitions de chacun. 

Pour comprendre ces divisions il faut remonter un peu dans le temps. A l’origine, la gauche n’était séparée en deux que par une ligne claire : les réformistes d’un côté ; les révolutionnaires de l’autre. Les choses se sont grandement compliquées quand le Parti communiste français, supposé incarner cette mouvance révolutionnaire, est devenu un parti de gouvernement. 

Compliqué de rester révolutionnaire quand on est à la tête du pays ! 

Et c’est sur cette ligne de fracture mal cicatrisée que se sont peu à peu créés de nouveaux partis, soit dans les interstices, soit avec la volonté de dépasser les fractures et supplanter les autres,  rendant de fait l’union des gauches toujours plus improbable. Ces partis, souvent résultats de défections à la chaîne de cadres suite à des défaites électorales, n’ont ni enterré les formations historiques, ni permis de clarifier les socles doctrinaux de cette gauche décidément trop “plurielle”. Alors évidemment, d'un regard extérieur, on peut se dire que ces partis ont plein de choses en commun... mais en réalité, cette pluralité n’est que le fruit de débats jamais tranchés et cristallisés autour de personnalités. Donc oui, au niveau national, c'est irréconciliable.

Maintenant vous l’avez. Ça sera pas du gâteau. Une alliance des gauches semble donc infiniment plus compliquée à mettre en place au niveau national qu’au niveau local.

Afin que ce projet puisse voir le jour, le minimum serait un petit coup de pouce. 

Quoi de mieux qu’une victoire électorale ? 

II/ Les possibles répercussions de l’élection des Hauts-de-France : politique fiction

Attention, maintenant on va rentrer dans la politique fiction. On va envisager les deux scénarios possibles suite à cette élection régionale et les potentielles répercussions que cela pourrait avoir sur l’élection présidentielle de 2022. 

Premier scénario : Défaite de l’alliance des gauches

Nous sommes le 27 juin 2021 (ou pire, le 20 juin 2021). La liste des gauches est défaite. Ouch. Les espoirs de voir une gauche unie en 2022 semblent disparaître. Après avoir constaté l’échec de la stratégie de l’alliance, Jean-Luc Mélenchon décide de tenter sa chance en solitaire en 2022. Pourquoi pas se dit-il, il lui a manqué “seulement” 600.000 voix pour atteindre le second tour en 2017. Encore une fois, il va tenter de siphonner les voix du Parti Socialiste. Dans ce cas de figure, une alliance reste encore possible entre EELV et Parti Socialiste.  Mais soyons honnêtes… Ça ne passe pas le premier tour.  Conclusion : si l’alliance des gauches dans les Hauts-de-France est un échec, ça sent très mauvais pour 2022. 

Deuxième scénario : Victoire de l’alliance des gauches

Nous sommes le 27 juin 2021. Karima Delli est élue présidente du conseil régional des Hauts-de-France. C’est une magnifique victoire face à un poids lourd de la droite déjà candidat pour la présidentielle : Xavier Bertrand, qui, selon ses dires, ne se présenterait pas à l’élection présidentielle (pour le bien de cette analyse, on va faire semblant d’y croire). 

Donc, au-delà de mettre de côté un sérieux prétendant à la présidentielle, cette victoire permettrait de montrer qu’une alliance des gauches est capable de défaire les trois autres grands partis nationaux. Cela montrerait que les différences idéologiques supposées entre les électeurs des différents partis ne sont pas insurmontables et qu’un projet commun reposant sur l’écologie peut porter ses fruits et mener à une victoire dans les urnes (au niveau local en tout cas).

C’est le parfait test en conditions réelles. Dans cette optique, les têtes de liste au niveau national commencent à envisager sérieusement une alliance en 2022, d’autant plus que pour le moment les sondages donnent une claire avance aux deux finalistes de 2017.

Conclusion : 

Le résultat de ce petit exercice semble logique. Une défaite de l’alliance des gauches dans les Hauts-de-France scellerait quasiment tout rêve d'alliance nationale. En revanche, une victoire serait une belle première étape. Rien de neuf sous le soleil donc. 

Réussir son alliance en région ne veut pas dire réussir son alliance au niveau national ! Il va falloir mettre de côté les différends idéologiques, les égos et autres rancœurs du passé. C’est possible pour une personnalité politique de premier plan ? Pas sûr... 

Pour l’instant, tout ça reste un lointain mirage…. Selon les derniers sondages, Karima Delli est donnée perdante avec 17% des voix loin derrière Sébastien Chenu (RN) à 32% et Xavier Bertrand à 36%. Bref, c’est pas gagné...

Il reste 10 jours avant le premier tour et même si rien n’est encore joué il va  déjà être très compliqué de réussir à retourner la tendance. Les rebondissements seront encore nombreux et une seule chose est sûre, à la fin du mois de juin, à gauche, tous les regards seront braqués sur les Hauts-de-France.

Guillaume FAUCHER