Quand art et technologie font naître la nouvelle forme de communication politique - Retour sur un meeting 3.0

Le Lab Proches est allé à la rencontre du photographe et créateur de contenus visuels et images “hors formats” David Mathias. Ce dernier est à l’origine de la scénographie du meeting immersif de Jean-Luc Mélenchon de la présidentielle 2022 qui a tant fait parler de lui. Nous lui avons donc demandé quels pouvaient être les liens entre production artistique et communication politique. Réponses ci-dessous.

 

Vous êtes initialement photographe et créateur de contenus visuels et d'images “hors formats”. Qu’est-ce qui vous a amené à la scénographie et plus précisément à travailler au service de Jean-Luc Mélenchon dans le cadre de son meeting immersif du 16 janvier 2022 ? 

Je n’ai pas d’engagement politique, ne suis soutien d’aucun parti et je n’ai jamais travaillé pour un autre candidat. Cette expérience a été ma première intervention politique. Au départ, j’ai un parcours de photographe et de réalisateur. Je suis passé par la performance vidéo, mais toujours en ayant recours à des dispositifs d’images un peu différents. J’ai quitté le champ artistique pour celui de l’événementiel en me spécialisant dans la création d’images hors-format - un équivalent de l’immersif quand le terme n’était pas encore consacré. 

Peu importe quel est le projet qui m’anime, je fais toujours en sorte que le public soit intégré dans l’image, qu’il y ait au moins une personne immergée dans l’espace. Les problématiques sont ainsi toujours à peu près similaires : capter l’attention du public tout en jouant sur les allers-retours entre environnement vidéo et présence sur scène. 

 

Quels sont les parallèles ou divergences entre la réalisation d’une scénographie pour un projet comme celui-ci et celle pour un spectacle vivant ? Y-a-t’il une différence à travailler avec un metteur en scène et une personnalité politique ? 

J’ai toujours pensé qu’au théâtre, la matière première n’est pas l’acteur ou le décor, mais c’est le spectateur : ce qu’il voit, ce sur quoi il porte son attention, etc. La scénographie permet de travailler cette perception qui évolue au rythme du propos. 

Ensuite, les contraintes sont très proches dans une situation comme dans l’autre. Les images doivent mettre en valeur le propos et la présence des personnes sur scène, et ne pas prendre le pas. Le spectateur doit comprendre, ne pas perdre en lisibilité, et surtout ne pas se poser la question de ce qu’il se passe. Continuité et cohérence sont les maîtres mots.

Dans les deux cas, que ce soit pour le spectacle vivant ou le politique, il y a d’abord une attente très importante au niveau visuel, avec une recherche de l’effet waouh. Dans le cas du meeting du candidat, je ne voulais surtout pas faire de la politique spectacle à l’américaine avec des images qui en mettent plein la vue. La recherche de l’équilibre est clé.

 

Quelle a été votre intention première lors de la création de ce dispositif scénographique au service d’un meeting politique ? 

Je pense qu’il faut commencer par rappeler ce qu’est un espace immersif parce que c’est devenu un terme galvaudé et que cela ne va pas de soi. Pour moi, l’immersion commence au moment où une image ou un environnement vidéo sort du champ visuel et vient englober le spectateur en créant littéralement du hors-champ et une continuité qu’on ne peut pas saisir dans l’instant. 

Pour cet événement, mon défi a surtout été de permettre que cette scénographie puisse être appréciée à la fois pour le public qui vit l’expérience en direct dans la salle, mais également pour ceux qui verront le meeting via les réseaux sociaux ou la télévision. 

 

Quel a été votre principal défi ? 

L’ensemble a été pensé pour la viralité. Dans un premier temps parce qu’il devait permettre une identification immédiate de l'événement par le décor lorsqu’une image serait prise. Ensuite, car c’est un nouvel outil qui est utilisé par les chaînes d’informations télévisées qui les incrustent à leurs propres flux, permettant ainsi aux partis comme la France insoumise de maîtriser totalement leur communication. Et puis parce que nous savions que les participants allaient s’amuser à faire des selfies avec l’environnement vidéo en fond, et que cela participerait de la communication globale de l’événement. 

J’ai aussi veillé à ce que cette viralité ne se fasse pas à l’insu du candidat et j’ai cherché à éviter que les images puissent être détournées de façon à aboutir à des commentaires déplacés ou hors-sujet. Avec la mer par exemple, je ne voulais pas qu’on retrouve des posts sur Twitter légendant  “la gauche fait naufrage” à la vue d’un bateau. 

Dans tous les cas, dans ce type de dispositif, il est clair que l’idée doit prédominer. La forme doit jouer le rôle d’une loupe, d’un sous-titre de ce que le candidat développe, mais elle ne doit surtout pas changer l’ADN de la proposition. Notre intention était de convoquer les sens, et le sens. 

 

Quelles ont été vos sources d'inspiration ? 

Les thématiques posaient évidemment le cadre : l’actualité internationale, l’espace, le digital et la mer. Des sujets qui appellent à la fois au réalisme et à l’imaginaire. Qui m’ont aussi demandé de recourir au dessin de presse, à la métaphore et à la sémiologie, de me mettre en position de penser à l’avenir qu’on veut dessiner. Souvent, on se représente l’inspiration comme idée qui surgit, mais c’est surtout un concept qu’on déploie, une transcription du monde tel qu’on le perçoit. 

Dès le début, Jean-Luc Mélenchon a eu l’envie de s’impliquer dans le processus, d’innover et d’aller encore plus loin que ce qu’il avait proposé en 2017 avec son hologramme. Mais plus encore, il voulait parler de choses qui le touchent. 

Et puis, ses équipes et lui étaient également très clairs concernant le sentiment de gaieté et d’espoir qu’ils voulaient convoquer. Jean-Luc Mélenchon devait apparaître comme un candidat à l’élection présidentielle, pas comme la figure de l’opposant ou du militant que nous avons l’habitude de voir, mais comme un porteur d’espoir. 

 

Vous travaillez également à la création d’espaces immersifs pour la Commission européenne. Est-ce qu'il y a des différences ou des similitudes avec le travail que vous avez mené pour le candidat de la France insoumise ?

La Commission européenne est une organisation tentaculaire. Chacun des services qui la composent propose des conférences annuelles avec de très hauts profils comme la présidente Ursula Von der Leyen, des chefs d’États et des membres de gouvernements. 

Avec l’arrivée du Covid, ces événements ne pouvaient évidemment plus se faire en présentiel et il a donc fallu penser différemment. L'environnement immersif est apparu comme une solution : j'ai designé un espace avec plein de fonctionnalités qui leur permettait de faire passer des messages et des idées, de discuter en temps réel et de réduire le temps de présence de ces personnalités importantes. L’expérience a aussi drastiquement augmenté le nombre de personnes qui suivaient ces échanges et permis d’ouvrir le dialogue via l’intégration de questions-réponses en temps réel avec l’audience.