De quoi Zemmour est-il le nom ?

Dimanche 24 avril 2022, 19h59 :
Laurent Delahousse recoiffe élégamment sa mèche tandis que le visage de Léa Salamé laisse transparaître une mine inquiète. Toute la France est suspendue à son écran de télévision. “Cinq, quatre, trois, deux, un…”. Il est 20h et le couperet tombe. 50,8 % ! Et comme une surprise à laquelle on refuse de croire, le visage aquilin de celui qui n’était, quelques mois auparavant, encore qu’un chroniqueur politique adepte de polémiques, apparaît au-côté de ce chiffre historique. Eric Zemmour est officiellement élu président de la République. Le 26ème d’une liste qui a compté Louis-Napoléon Bonaparte, Gaston Doumergue, le Général De Gaulle ou encore François Mitterrand. Et le 9ème d’une jeune mais pourtant déjà essoufflée Vème République.

20h12 :
Sur France 2, Brice Teinturier tente, dans un numéro d’équilibriste dont lui seul à le talent, d’expliquer que ses sondages (pourtant faux) disent vrai. Sur CNews, Pascal Praud exulte alors que sur TF1, Alain Duhamel répète, à qui veut l’entendre, qu’il avait tout prévu. Et dans la rue, on sent une agitation dont on ne sait si elle est favorable ou non.  

21h36 :
Eric Zemmour prend la parole. Derrière lui, depuis son siège de campagne qu’il a voulu proche des Invalides comme un hommage à celui qu’il admire, on reconnaît pêle-mêle : Manuel Valls, Henri de Castries, Charles Beigbeder, Marion-Maréchal Le Pen (mais pas sa tante qui, d’après les rumeurs, boude), Laurent Wauquiez, Geoffroy Lejeune, Thierry Marianni, Jeannette Bougrab, Gérard Longuet, François Ruffin, Maxime Nicolle et tant d’autres… Tous là dans l’espoir d’un maroquin.

Au deuxième rang, un peu à l’ombre, on aperçoit les “deux Michel” comme on les appelle au siège. Onfray et Houellebecq jubilent. Ils savent qu’ils incarnent symboliquement cette bataille culturelle qui a permis la victoire de Zemmour : celle d’un bloc populaire uni derrière le souverainisme. Macron avait lui aussi en 2017 transcendé l’opposition traditionnelle entre gauche et droite. Symbole d’un bloc bourgeois réunifié, Macron ce n’était pas le “ni-ni” mais le “et-et” : à la fois bourgeois de gauche et bourgeois de droite. Plus qu’une posture, une incarnation jusque dans sa chair, lui qui fut à la fois banquier d’affaires chez Rothschild et assistant de Paul Ricoeur. Un libéralisme poussé à l’extrême, embrassant non seulement l’économie mais aussi toutes les autres dimensions de la société (morale, sociale...). Une incarnation inédite qui paradoxalement a permis de faire émerger le bloc opposé. En ce sens, Zemmour est à la fois la conséquence du macronisme et son opposition la plus directe. L’incarnation d’un bloc souverainiste qui lui aussi se veut “ni de gauche ni de droite”. Ou plus précisément “et de gauche et de droite”. Un bloc populaire numériquement majoritaire bien que sociologiquement hétérogène dont l’unification n’a été rendue possible que par son opposition au bloc bourgeois enfin débarrassé de ses divergences grâce à Emmanuel Macron. Zemmour c’est à la fois l’anti-Macron et le fruit de ce dernier.

23h44 :
L’agitation extérieure a laissé place aux heurts et affrontements sans qu’on comprenne qui s’oppose à qui. Place des Pyramides, les identitaires défilent en tendant leur bras avec fierté tandis que les sirènes des paniers à salade crient sur le Boulevard Barbès. A peine 4 heures après avoir porté au pouvoir leur candidat, le bloc se délite déjà, faisant ressortir des oppositions qu’on avait laissées volontairement latentes.

06h39 :
Une notification du Monde me réveille en sursaut et en sueur. Un rapide coup d'œil sur mon téléphone : nous ne sommes pas le 24 avril 2022 mais le 15 juillet 2021 et Philippe Poutou vient d’officialiser sa candidature à l’élection présidentielle. Je suis presque rassuré par cette nouvelle qui me sort de ce mauvais rêve. Mais une question ne cesse de me revenir : “De quoi Zemmour est-il le nom ?”. Lui, qui malgré sa défense radicale de l’assimilation connaît ses origines berbères, vous répondrait l’olivier, symbole de paix, de fidélité et de réconciliation. D’autres, dans ce corps central abandonné par les politiques et qu’on qualifie un peu rapidement de France périphérique, vous diraient probablement d’espoir. Pour moi, à ce moment-là, il est synonyme de cauchemar. Un cauchemar qui derrière l’image d’un bloc unifié n’est que la somme de frustrations, certes légitimes mais toutes contradictoires. Un cauchemar si réaliste qu’il a un arrière-goût de déjà-vu.

 

SOLIMAN CHAOUCHE