#Opinion
- 6 juin 2024
Le 9 juin, on choisit notre monde ?
Julia Paul-Zamour
Directrice de clientèle
Si pour certains le rôle du Parlement européen est encore un « objet politique non-identifié » et l’impact des décisions qui y sont prises nébuleux, il existe maintenant une forme de consensus quant à la nécessité d’une Union Européenne forte.
Ce besoin d’Europe est aujourd’hui d’autant plus prégnant, à l’aube d’une élection européenne qui intervient à un moment charnière : la guerre entre la Russie et l’Ukraine, une potentielle confrontation entre les grandes puissances du monde et une crise économie, sociale et environnementale sans précédent.
Dans ce contexte, le risque d’une Union Européenne isolée sur le plan géopolitique existe.
Or, si la pertinence de l’échelon européen est acquise dans l’opinion publique, le récit collectif de l’Europe dans laquelle nous souhaitons vivre a encore besoin d’être rédigé.
S’ils ne proposent pas directement les lois européennes – prérogative réservée à la Commission européenne – rappelons que les députés européens ont du pouvoir. Beaucoup de pouvoir. Les décisions qu’ils prennent ont des conséquences sur notre vie quotidienne : dans ce que nous mangeons, dans ce que nous buvons, dans nos modes de vie, pour le futur de la planète également.
OGM, utilisation des pesticides, agriculture biologique : développer un système agroalimentaire européen aux impacts positifs sur le climat, l’environnement et la santé est par exemple l’un des défis de l’Union européenne. La législation européenne répond à bien d’autres enjeux qui nous préoccupent au quotidien : l’environnement, la sécurité, les politiques sociales, les droits des consommateurs, l’économie, l’État de droit, etc…
Les pays seuls ne peuvent répondre aux enjeux colossaux auxquels nous sommes confrontés.
En choisissant la composition du Parlement européen, nous influençons la manière dont l’Union européenne répondra aux défis des migrations, de la régularisation de la mondialisation, aux ingérences étrangères, au réchauffement climatique, à la crise sociale et énergétique que nous traversons.
Lorsque nous voterons pour les élections européennes, nous répondrons à cette question : quels sont les combats prioritaires pour le Parlement européen ?
C’est précisément le rôle des candidats à cette élection de nous aider à répondre à cette question en insufflant une aspiration collective à travers leurs programmes politiques. Nous attendons de celles et ceux qui prétendent nous représenter demain au parlement européen qu’ils ne proposent pas uniquement une évolution des réglementations mais bien la construction d’un nouveau roman européen.
Une bonne campagne est une campagne dans laquelle l’électeur peut se projeter dans la société imaginée par le candidat.
La liste de mesures technocratiques, prétextée par la pensée complexe du politique, ne permet jamais à l’électorat d’être emporté dans une aventure collective. Or, nous avons envie – et besoin – d’être réenthousiasmé par le projet politique, nous avons besoin de redonner du sens au geste démocratique en imaginant ce qui en résultera. Ce besoin est encore plus fort aujourd’hui, à l’aube du 9 juin, alors que seulement 46%[i] des Français inscrits sur les listes électorales prévoient de se déplacer dans les bureaux de vote.
Plus dramatique encore, le Rassemblement National caracole en tête des sondages avec une confortable avance et des estimations d’intention de vote qui oscillent entre 31 et 33%. Mais cette tendance n’est pas propre à la France. Le paysage politique européen est frappé par une montée en puissance de l’extrême-droite depuis une dizaine d’années, à l’instar de l’Italie, la Pologne ou encore la Hongrie. Nourris par la colère sociale, la montée des inégalités, l’inflation et les répercussions du changement climatique, les partis populistes ont insidieusement répandu leurs idées rétrogrades et gagné le cœur d’un électorat à bout de souffle qui a perdu l’espoir d’une société progressiste.
Aux candidats de convaincre et aux citoyens de choisir, alors, dans quel monde – en commun – ils souhaitent vivre.
Dans le monde fantasmé par Marine Le Pen, Jordan Bardella et consorts, celui qui entend “réhabiliter la frontière comme outil de protection et de régulation”, restreindre la libre-circulation au niveau de l’espace Schengen, conditionner les aides au développement versées aux pays dès lors qu’ils accepteront la « reprise effective de leurs ressortissants expulsés » ? Un monde qui, sous prétexte d’alléger les normes trop contraignantes, supprimerait les directives qui renforcent aujourd’hui les obligations des sociétés en matière de responsabilité sociale et environnementale et qui refuse l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. Un monde, encore, qui souhaite “réaffirmer la supériorité de la Constitution française sur les normes et juridictions européennes” - sorte de préférence nationale 2.0 - et contreviendrait au principe même de la construction européenne dans laquelle le droit communautaire prime sur les droits nationaux.
Ou bien souhaitons-nous vivre dans une société qui accueille dignement celles et ceux qui ne peuvent plus vivre dignement dans leur pays natal ? Une société qui place l’égalité au cœur de son modèle, de ses réflexions et de ses objectifs. Une Union européenne qui construit un destin commun pour les états-membres, en protégeant leurs intérêts notamment face aux ingérences des puissances étrangères. Souhaitons-nous un modèle basé sur une Europe sociale – qui ne délaisserai plus les pauvres au profit des puissants ? Une Europe qui s’attaquerait enfin à ces 1% les plus riches de la planète, qui possèdent la moitié des richesses mondiales et dont les actions ont pour conséquence l’accroissement des inégalités sociales ? Un monde, enfin, qui opérerait un véritable tournant écologique en développant massivement les énergies renouvelables et en soutenant la transition agroécologique.
À cette question, nous répondrons individuellement et collectivement dimanche 9 juin.
Une chose est cependant certaine : la démocratie ne doit jamais être considérée comme acquise. Il s’agit d’un combat collectif, d’une lutte permanente et d’une responsabilité partagée. Dimanche, nous votons pour nos députés européens, pour le monde que nous voulons. Nous votons également parce que, face aux dérives qui traversent la société, notre pays a besoin d’une démocratie forte.