#Tribune
- 6 avr. 2018
Le startuper et le lobbyiste : une alliance indispensable pour remporter la bataille culturelle des modernes contre les anciens ?
Associé généralement à certains secteurs jugés sulfureux par le grand public et les médias, le lobbying continue de rimer dans l’inconscient collectif avec dérives et mauvaises pratiques, malgré les efforts de transparence et de pédagogie, Vu comme l’apanage des multinationales et des entreprises du CAC 40, le lobbying intéresse encore peu les ETI et les PME-TPE. Mal compris, « trop cher », « sans retour sur investissement véritablement mesurable », les entrepreneurs déconsidèrent souvent le rôle que peut avoir le lobbying dans une stratégie commerciale globale. Du côté des start-ups, il semble que, ce qui est parfois appelé « affaires publiques » ou « relations institutionnelles » dans le jargon d’entreprise, n’apparaisse pas non plus comme une priorité stratégique.
Et pourtant, dans une époque mouvementée où le numérique et les nouvelles technologies remettent en cause chaque jour les business models traditionnels et font émerger de nouveaux marchés jusque-là inconnus, l’utilité du lobbyiste devient incontournable pour a minima anticiper, ou mieux, influencer l’encadrement législatif et réglementaire de demain.
Le lobbyiste, un intermédiaire nécessaire entre le monde de l’entreprise et la sphère institutionnelle
Concentré sur la pertinence de son produit, la pérennité de son business model, la recherche de nouveaux clients, la surveillance des compétiteurs ou encore la stratégie marketing, le startuper s’intéresse peu voire pas du tout aux turbulences légales ou réglementaires qui peuvent affecter l’activité de son entreprise. Et pour cause ! Avec un taux d’échec de 90% et une mortalité qui culmine autour de la deuxième année d’existence, la préoccupation principale d’une start-up est avant tout sa survie quotidienne jusqu’à la première levée de fonds. On comprend qu’une procédure législative, parfois longue de plusieurs années (entre l’avant-projet de loi, son examen au Parlement et la publication des décrets d’application), figure en dernière place des préoccupations de l’entrepreneur. C’est d’autant plus vrai pour des réglementations européennes, toujours plus nombreuses, qui peuvent mettre une dizaine d’années avant d’entrer en vigueur. Et pourtant, l’impact d’une nouvelle législation sur une entreprise peut être mortel, un seul article de loi pouvant parfois mettre à mal toute une stratégie d’entreprise.
Dans ce contexte, le rôle du lobbyiste parait alors incontournable. Tout d’abord en allant chercher l’information permettant d’anticiper les opportunités et les risques permis par un texte. Pour servir ensuite d’intermédiaire voire de traducteur entre le monde de l’entreprise et la sphère institutionnelle qui ne se comprennent pas toujours. Pour contrecarrer ou susciter enfin les évolutions légales garantissant la protection des intérêts de l’entreprise.
L’anticipation, stratégie la plus efficace pour réussir son lobbying
Par essence vecteurs d’innovations, les start-ups sont bien souvent cause de bouleversements pour des pans entiers de l’économie traditionnelle. L’avènement de la dite « nouvelle économie » et de l’économie collaborative, qui viennent remettre en cause les acteurs économiques installés, illustre parfaitement ce phénomène. Profitant d’un réseau institutionnel établi depuis de longues années, les acteurs traditionnels n’hésitent pas alors à mener un lobbying féroce – de l’échelon local à l’échelon européen et couplé à une stratégie de batailles judiciaires – pour défendre leurs parts de marché. On peut citer, à titre d’exemple, la lutte entre hôteliers et AirBnb ou encore entre taxis et VTC. Si une entreprise comme Uber, avec la masse financière qui est la sienne, semble endosser le choc, son rival français Heetch a vu son activité tout simplement interdite. Reconnue coupable « de complicité d’exercice illégal de la profession de taxi et de pratique commerciale trompeuse », l’entreprise a dû abandonner en France son business model innovant, basé sur l’économie du partage.
Plus récemment et moins connu en Europe, l’exemple de Josephine, start-up emblématique de la foodtech aux Etats-Unis, est tout aussi éclairant. Basée elle aussi sur l’économie du partage, son co-fondateur a récemment annoncé l’arrêt de son activité. Raison principale : des barrages réglementaires mal-anticipés et un travail de lobbying trop tardif.
Ces deux cas montrent bien l’importance de la mise en place d’une stratégie d’affaires publiques suffisamment en amont, permettant de tisser un réseau d’alliés politiques et de parties prenantes (autres acteurs économiques, citoyens et consommateurs), d’anticiper toute évolution législative et le cas échéant de mener un travail offensif de lobbying pour protéger son business model et ceux qui en bénéficient. Si le retour sur investissement peut paraitre tardif, la phase dite d’« early stage » est pourtant la fenêtre d’opportunité la plus propice, à condition qu’une partie des ressources issues des fonds de capital-risque puisse être redirigée.
Capitaliser sur le renouvellement politique récent pour lancer son lobbying
Les start-ups outre-Atlantique ont intégré depuis longtemps la dimension institutionnelle dans leur stratégie globale. Si les dépenses en lobbying des GAFA ont dorénavant dépassé celles du secteur automobile, les plus petites entreprises du numérique s’y mettent aussi. En France, franchir le pas semble plus difficile. Héritée de la philosophie rousseauiste, la conception volontariste de l’intérêt général qui irrigue notre pratique politique depuis la Révolution est réfractaire aux intérêts privés, y compris des plus petits. Les fédérations et associations qui se sont créées dans le secteur pour servir de relais ces dernières années (France Digitale, France FinTech, France eHealth…) annoncent un changement de paradigme. Mais celles-ci restent encore cantonnées à la défense de sujets généraux (statut des travailleurs indépendants, économie du partage, accès aux données personnelles…). A leur échelle, les start-ups françaises rechignent encore à faire du lobbying. Or le renouvellement politique qui a eu lieu depuis l’élection d’Emmanuel Macron constitue une opportunité sans précédent.
Partisan de l’émergence d’une « start-up nation », le Président de la République a également permis l’entrée dans l’hémicycle de nombreux entrepreneurs. Preuve, s’il en fallait une, de cet environnement favorable, plusieurs groupes d’études parlementaires ont été créés par la nouvelle législature, à l’instar du groupe « PME » rebaptisé « Start-up et PME ».
Ainsi, l’alliance entre startupers et lobbyistes semble plus que jamais opportune pour remporter la bataille culturelle qui oppose anciens et modernes… avant que les start-ups ne viennent elles-mêmes disrupter les acteurs classiques du lobbying.