#Décryptage
- 16 sept. 2021
Présidentielle : la bataille de l’agenda a commencé
Une élection, c’est souvent une bataille de personnes, parfois une bataille d’idées mais en réalité, c’est toujours et surtout une bataille d’agenda. Et sur ce point, cette semaine de rentrée politique a tenu toutes ses promesses, avec la consécration successive de candidats heureux et malheureux dans cette conquête de la primauté de l’actualité…
Comme Jean-Louis Missika et nombre de sociologues des médias l’ont largement décrit, le rôle (volontaire ou involontaire) des médias, leur partition dans le grand concert de l’opinion, n’est pas tant de dire au citoyen ce qu’il doit penser mais ce à quoi il doit penser. C’est le fameux « effet d’agenda », recherché par les candidats, car les élections ont souvent démontré que ce n’est pas tant celui qui a le plus convaincu qui gagne, mais celui qui a réussi à faire de ses thèmes forts, le cœur du débat public.
En 2007, Nicolas Sarkozy et sa stratégie de « carpet bombing » (un flux ininterrompu de propositions transgressives) avait imposé aux médias, dont les chaînes d’information naissantes, mais aussi aux autres candidats, de commenter et de réagir systématiquement sur les thèmes que le candidat UMP de l’époque avait choisis. C’est cette guerre de position permanente, pour dominer l’actualité, qui avait construit la victoire du candidat Sarkozy.
Si cet agenda peut être dicté par les candidats, il peut aussi parfois être percuté par des actualités exogènes, comme l’affaire Paul Voise qui avait mis l’insécurité au cœur des derniers jours de campagne avant le 21 avril 2002, ou encore le film « Une vérité qui dérange » d’Al Gore avant les élections européennes de 2009, qui avait très probablement participé au succès d’Europe Écologie Les Verts.
Considérant ainsi l’importance de faire de son thème fort et identifiant, le sujet qui est débattu par les médias et les autres candidats, les candidats de cette élection présidentielle de 2022 font feu de tout bois pour obtenir l’attention de l’opinion.
Ainsi, la semaine qui vient de s’écouler désigne clairement deux vainqueurs de cette bataille de l’agenda : Éric Zemmour et Anne Hidalgo. Le putatif candidat et la néo-candidate ont - avec leurs propositions - préempté le territoire du débat public.
Pour Éric Zemmour, c’est un classique : dans une position d’éditorialiste et désormais de simili candidat, il assène à rythme effréné des commentaires et des propositions excessives en pariant sur le fait qu’une d’entre elles finira par défrayer la chronique. Cette semaine, avec sa proposition - grotesque, d’interdiction des prénoms à consonance étrangère, il a envahi les plateaux, monopolisé l’attention médiatique, forcé une indignation qui a contribué, in fine, à le faire exister.
Recherche Meltwater « prénom étranger », du 02 au 15 septembre 2021
Pour Anne Hidalgo, gagner la bataille de l’agenda en cette semaine de rentrée était un enjeu majeur pour faire exister sa candidature ; et plus largement, la singularité d’une offre de « gauche de gouvernement » dans cette élection présidentielle. Elle était attendue évidemment sur l’écologie, les inégalités ou les services publics, mais c’est finalement sur l’Éducation que la Maire de Paris a fait mouche. Avec sa proposition de doubler le salaire des enseignants, elle revient au cœur des combats historiques socialistes (et de son électorat traditionnel) en imposant un thème de débats sur lesquels aucun autre candidat n’était pour le moment positionné. Dans la foulée, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Michel Blanquer et les médias ont nourri le débat sur sa proposition… faisant ainsi exister son entrée en campagne.
Une de Libération du 14 septembre 2021
Vérité de septembre n’est pas vote d’avril, mais cette semaine vient de rappeler à tous les états-majors que rien ne sert d’être dans les matinales tous les jours, si le reste de la journée ce ne sont ni vos déclarations ni vos propositions qui sont débattues. La communication politique moderne a ceci de comparable à la publicité qu’elle repose sur la répétition des messages travaillant aussi bien la présence à l’esprit, la notoriété que la qualification de celle-ci.
La bataille culturelle pour imposer ses idées, sera plus que jamais à l’heure de l’information multicanale, la bataille de l’agenda.
Le Lab Elections