#Décryptage
- 3 juil. 2019
Transparence de la vie politique : une avancée démocratique ?
« Une résidence principale de 117 m2 dans la capitale d’une valeur de 1,2 millions d’euros ; 2 appartements parisiens d’une valeur respective de 120 000 et 130 000 euros ; 1 maison dans les Côtes-d’Armor estimé à 300 000 euros ; 2 assurances vie pour plus de 450 000 euros ; une voiture de marque Polo d’une valeur de 2 000 euros ; 10 000 euros de bijoux ; 16 000 de tableaux ; 30 000 de meubles… »
Voici ce que l’on qualifie de transparence politique ! Cette liste (non-exhaustive) que vous lisez n’est rien d’autre que la fiche de patrimoine d’un de nos ministres, rendue accessible par la si bien nommée « Haute autorité pour la transparence de la vie publique ». La transparence, le nouveau mot (maux ?) du siècle. Ou devrions-nous dire la Transparence tant le concept s’est élevé au rang de nouvelle divinité de notre société, la HATVP constituant alors son clergé et la presse ses ouailles. « Transparence et moralisation de la vie politique : où en est la France par rapport à ses voisins ? » se questionne LCI alors que Le Monde publiait récemment « Le bilan de la transparence en politique ».
On nous prédisait la société du Spectacle, nous voilà avec la société de Transparence ! Guy Debord voyait dans cette société du spectacle qu’il décrivait, le stade achevé du capitalisme. Les promoteurs de la société de transparence y voient quant à eux l’échelon ultime de la démocratie. Et pourtant, celle-ci représente en réalité un réel risque pour la démocratie.
Il est vrai que la longue liste des affaires qui rythment notre vie politique depuis des années (Cahuzac, Thevenoud, Fillon pour ne citer que les plus récentes) a nourri ce discours d’emphase appelant à « moraliser la vie politique » ou à « restaurer la confiance dans le politique ». Mais à y regarder de plus près, il semblerait que cette injonction à la transparence puisse se révéler inutile, voire contre-productive.
Quand transparence rime avec contestation
« Inutile » tout d’abord, car l’honnêteté nous oblige à révéler que certains outils mis en place par la HATVP sont un échec. La Haute autorité, transparente sur elle-même (on n’en attendait pas moins), nous apprend que la fiche la plus consultée sur son site, celle de Marlène Schiappa, a été vue seulement 217 fois. 217 fois ! Soit probablement par la seule cohorte de journalistes politiques de la capitale. Et puisqu’il est beaucoup question d’argent dans ce texte, rappelons que le budget annuel de la HATVP s’élève lui à plus de 6 millions d’euros par an…
« Contre-productive » ensuite. Car dans un pays qui a si vigoureusement combattu la Réforme, la question financière reste culturellement suspecte. La seule information que Jean-Luc Mélenchon possède un appartement parisien d’une valeur de 800 000 euros pourrait suffire à en décourager plus d’un de voter pour le « défenseur du peuple ». Ce voyeurisme, qui n’a rien de différent de celui du héros hitchcockien de Fenêtre sur cour, vient dans les faits alimenter le discours du « tous pourris » auquel la Transparence était précisément censée apporter une réponse. Ce qui devait redonner légitimité à la politique et à son personnel conduit en réalité à renforcer la méfiance, la défiance, le désengagement et in fine la contestation.
Alors, face à ce constat, faut-il vraiment souhaiter cette société de transparence dont l’éloge parait si évident ?
Contre une transparence sociale et pour une transparence juridique
Les évidences font vivre l'ignorance dit le proverbe. Fervent combattant de l’ignorance, Philippe Murray voyait déjà poindre ce risque de transparence dans ce qu’il appelait « L’Empire du Bien ». Une analyse que l’on retrouve dans les travaux plus récents du philosophe allemand d’origine coréenne Byung-Chul Han. Son dernier ouvrage traduit en français sous le titre « La société de transparence » montre les risques que ferait peser à terme une société totalement transparente. Bien que s’intéressant avant tout aux injonctions de transparence qui sont à l’œuvre sur les réseaux sociaux, la réflexion de Byung-Chul Han s’applique parfaitement au champ politique. Faisant remonter les prémisses de cette société de transparence à Rousseau pour qui « un seul précepte de morale peut tenir lieu de tous les autres : ne fais ni ne dis jamais rien que tu ne veuilles que tout le monde voit et entende », l’auteur montre que la société de transparence se révèle être une société de contrôle et de soupçon permanent. « L’impératif de transparence rend suspect tout ce qui ne se soumet pas à la visibilité, c’est en cela que consiste sa violence ». Cette exigence de transparence se fait entendre quand il n’y a plus de confiance. Or, nos sociétés démocratiques reposent précisément sur le principe de confiance : confiance en nos institutions mais aussi confiance envers nos représentants politiques à qui nous acceptons de confier notre représentation.
Face à ces exigences de transparence (qu’on retrouve y compris au sommet de l’État comme en témoigne le titre révélateur de l’ouvrage « Un Président ne devrait pas dire ça… »), il convient de développer un discours nuancé. Dans un de ses numéros récents, la revue Esprit appelait à distinguer la transparence juridique de la transparence sociale. « La première est nécessaire, parce qu’elle garantit de sévir contre toutes les formes de corruption. Elle se définit négativement comme le fait de ne pas enfreindre la loi et constitue effectivement une forme de lutte efficace contre tous les types de corruption. La seconde est un objectif risqué, qui consiste à publier l’intimité et les conditions de vie de ceux qui dirigent la nation ». Appelons alors de nos vœux cette transparence juridique, bien plus difficile à mettre en œuvre, que ce voyeurisme dangereux que représente la transparence sociale.
Soliman Chaouche, Directeur Conseil