"Une seule solution, l’abstention"

« I won’t do what you tell me » Rage Against the Machine

 

On pourrait, comme le fait Alain Badiou dans son dernier Tract Gallimard, ne pas s’encombrer d’un développement argumenté pour simplement asséner cette vérité qui paraît, à un petit nombre croissant, aller de soi :

« Je crois pouvoir démontrer qu’il ne faut JAMAIS participer à ces cérémonies (les élections) de perpétuation de la servitude ».

 

Malheureusement, l’évidence est loin d’être partagée par le plus grand nombre, et les poncifs sur le vote, les élections, la Démocratie, encore ultra-majoritaires.

 

On ne pourra malheureusement pas démonter en détails tous les arguments opposés aux abstentionnistes de conviction ou de dépit (la distinction laisse largement à désirer) ; on se contentera donc juste d’un bref florilège pour évacuer les plus superficiels, avant de passer aux choses sérieuses.

 

« Des gens sont morts pour avoir le droit de vote ! » Contre la tyrannie oui, pour la Commune oui, contre le fascime oui, pour des conditions de travail dignes oui, pour un mode de scrutin non.

« Il y a tout de même assez de candidats pour qu’il y en ait qui trouvent grâce à tes yeux ! » Belle logique du moins pire (et non)

« Si tu ne votes pas, tu n’as pas le droit de te plaindre après. » Manquerait plus que ça.

« Il faut faire barrage aux extrêmes » 1) non, pas « aux » 2) blâmer l’abstention pour la montée de l’extrême droite, pas mal…

« Et si tout le monde faisait comme toi? » C’est bien le but.

 

Ces quelques remarques écartées, posons-nous la question : pourquoi est-il urgent de nous désintoxiquer de la fable vote = politique = démocratie ?

 

I - Comment ne pas s’abstenir ?

 

D’un point de vue purement cynique, dans le système actuel, l’abstention ne paraît pas être un plus mauvais choix que de voter sur de la communication (« Quel couple charmant ! Comme il est jeune ! Elle aime les chats ! Vive le bon vin ! Vive la France ! »), ou de voter utile/contre/fairebarrage/blanc (rayer la mention inutile). Le second peut paraître moins blâmable, et pourtant il ne fait qu’entretenir un système à bout de souffle.

 

Pragmatiquement, le chiffre de l’abstention est le seul qui est scruté (contrairement à celui du vote blanc) entre 12h et 20h avant les résultats et la focalisation sur le vainqueur. Pour faire passer un message, l’abstention est donc un véhicule, éphémère et insuffisant, mais néanmoins intéressant, notamment dans ce qu’il a comme conséquence puissante mais tue.

 

Lorsque le taux d’abstention atteint 57% aux législatives de 2017, (tout en rappelant qu’il faut ajouter environ 7 points pour prendre en compte les non-inscrits et mal-inscrits), de quelle légitimité peuvent se targuer les « élu(e)s » ? Plutôt que de déplorer le phénomène, ne serait-il pas temps de s’intéresser aux causes profondes et d’interroger ce que nous disent ceux qui se taisent ?

 

II - Délégitimer un système qui n’a rien de démocratique

 

On passera rapidement sur la considération, souvent baignée de mépris, d’une abstention irréfléchie et coupable.

 

Le 11 février, Le Monde nous gratifiait d'un article sur les jeunes et l’abstention.

En deux citations, le problème central et la solution de fond étaient résumés.

 

Face à des jeunes engagés (notamment dans des associations), le journaliste s’étonne « Engagés pour une cause ou dans une association, mais abstentionnistes… Un drôle de paradoxe ».

Voilà en une phrase, tout le débat résumé : dans nos « démocraties » modernes, l’action/la politique/l’engagement passe FORCÉMENT (du moins à un moment) par le vote. Le vote c’est LE moment politique par excellence. Or non, il y a peu de gestes moins politiques que celui de se déplacer 30 minutes déléguer son pouvoir d’action.

D’ailleurs, cela est parfaitement résumé par « le jeune », « S’il y avait un classement des actes citoyens les plus importants dans l’existence, lance-t-il, je mettrais le vote en dernière position. ».

 

Alors les études et sondages (on sait ce qu’il faut en penser depuis Bourdieu) le disent, les « jeunes » et les « Français » se désintéressent de la politique. Au-delà de la généralité qui annihile une bonne partie de la légitimité d’une telle réflexion, plusieurs questions émergent : qu’est ce qu’on entend par « politique » ? Et si la politique se faisait autre part ? Et s'il n’y avait jamais eu autant de Français engagés ?

 

En 2016, un Français sur 4 était engagé dans une association. En 2019-2020, les Restos du cœur ont collectés 101,4 millions d’euros auprès du public (dons, manifestations, legs et autres). Derrière ces grands chiffres, combien d’actions de solidarité au quotidien (aide à un voisin, à un membre de sa famille, aux réfugiés…) ?

 

Ces « petits » engagements traduisent la volonté d’agir, de ne pas se résigner à un état de fait et d’avoir un impact concret sur la vie collective. Si ce n’est pas « faire de la politique »...

 

Et si l’on devait retenir une émergence de la démocratie (démocratie au sens où l’entend Jacques Rancière, celui d’une égalité de principe et donc de la présupposition d’une capacité de tous) et politique de ces 5 dernières années? Les Gilets Jaunes. Des individus qui ne se connaissaient pas, qui décident de se parler, de proposer, de participer, de se faire voir et entendre. LÀ est la politique.

 

Trop souvent, les plateaux télé sont monopolisés par des « experts » qui « débattent » (de leurs accords) de l’éternelle question : « pourquoi les gens ne votent plus ? »

Il suffit pourtant de les écouter : « ça ne sert plus à rien ».

En effet, au milieu de « 50 nuances de gestion », alors qu’on leur rabâche à longueur de journée qu’ils ne sont pas capables, que les sujets sont compliqués, que les experts savent mieux, ils finissent par délaisser « là où ça parle » pour agir, car oui, ils ont envie de faire (quand le travail leur en laisse le temps). LÀ est la Démocratie, quand n’importe qui s’empare de n’importe quel sujet en affirmant, « moi aussi je peux ».

 

L’envie et l’intérêt sont là, il reste à les traduire institutionnellement : référendum d’initiative citoyenne, tirage au sort, mandat impératif, quorum, limitation de la représentation, des mandats, participation citoyenne, décentralisation extrême, temps pour s’y consacrer… sont autant de premières idées.

Ces évolutions sont fondamentales, pourtant elles n’occupent pas le « débat » de cette présidentielle. Dommage, mais croit-on réellement que le changement viendra de ceux qui n’y ont aucun intérêt ?

Alors oui, continuons à déserter les coquilles vides des élections actuelles, seul moyen d’éroder un système qui ne nous convient plus. Le 10 avril, restez chez vous, ou mieux, sortez militer, aider, lire ou même parler avec vos amis et voisins. Là est la solution.